Se séparer d'un parent malade...
"...Comment se séparer d'un parent psychiquement malade ? Les enfants, habités par un sentiment de toute-puissance qui les met au centre du monde, pensent toujours qu'ils sont - au moins un peu - responsables de ce qui arrive à leurs proches, en particulier à leurs parents. N'est-ce pas un peu leur faute si leur parent est fragile ? Ne peuvent-ils, par leur seule présence, devenir l'ange salvateur qui va guérir la maladie parentale ? Dans le même temps, ils éprouvent sûrement des souhaits de mort plus ou moins conscients envers ce père ou cette mère pas comme les autres...
L'ambivalence atteint son paroxysme - "Je t'aime, je te hais, je ne peux me passer de toi ni toi de moi" - et en fait naître la culpabilité. Mais la culpabilité fige le lien ; elle est même le pire des liens, lourde comme une chaîne de forçat. Elle attache, emprisonne. On ne peut pas se séparer si l'on se sent coupable.
Un parent, c'est fait pour rassurer, encourager, rendre plus fort. Avec un parent malade, les rôles semblent inversés : l'enfant n'est plus l'objet de ses préoccupations, c'est le parent qui devient objet de préoccupation pour l'enfant. En temps normal, celui-ci se soucie peu de ses parents, sauf en ce qui concerne l'affection, l'attention et les soins qu'il lui apportent. Ses parents sont des héros, forts, invicibles, tout-puissants. Le parent malade, lui, est empêché d'accéder au rang des héros, et il faut se soucier de lui parce qu'il est fragile. Sauf s'ils sont absents trop longtemps sans prévenir, un enfant ne se tracasse jamais pour ses parents. Mais si le père est aveugle, comment pourrait-il ne pas s'inquièter de savoir comment il va réussir à traverser la rue sans se faire écraser ? Et si le parent est dépressif, comment ne pas hésiter à le laisser seul ? L'enfant pense que sa présence peut être un garde-fou aux accès de mélancolie parentale.
Parce qu'elle oblige à prendre soin, à protèger, la maladie psychique attache l'enfant à son parent. On ne peut pas se séparer quand on a des doutes sur les qualités de résistance de celui dont on doit s'éloigner ; on a besoin de percevoir en lui quelque capacité à affronter cette séparation.
Pour réussir à prendre un peu de distance, il faut commencer par faire le diagnostic de la maladie. Cela permet en effet à l'enfant de ne plus chercher d'origine ni d'explication à la faiblesse de ce parent, ce qui allège son sentiment de responsabilité et de culpabilité, à défaut de le faire disparaître tout à fait.
Mais il est difficile de reconnaître que son parent est mentalement malade, et difficile de l'accepter. Se taire, taire la maladie apparaît comme une question de fidélité affective au parent malade, que l'on trahirait en mettant des mots sur son mal. Se taire est aussi une façon de se protèger de la honte que représente ce parent pas comme les autres, qui casse toute possibilité d'identification..."